L’Espace Solidor de Cagnes sur Mer propose, à partir du 27 février, une nouvelle exposition de bijoux de créateurs contemporains : “L’Education sentimentale”, en référence au roman de Flaubert où le narrateur doit se tailler son propre chemin sans se laisser influencer par les idées préconçues. Les sept artistes internationaux présentés puisent leur inspiration dans le répertoire de formes de la bijouterie traditionnelle et repensent leurs modèles en fonction des caractéristiques du monde actuel.
Les créations de l’américaine Anya Kivarkis font le lien, entre période ancienne – principalement de style Victorien – et contemporaine. Ses pièces détournent les images du luxe et de la joaillerie pour n’en laisser paraitre que l’illusion ; les pierres précieuses sont ici réduites à leur seule forme. Son travail, présenté pour la première fois en France, à déjà fait l’objet de nombreuses expositions aux Etats-Unis. Les bijoux de la britannique Lin Cheung s’inscrivent dans une réflexion sur les relations que chacun entretient avec ses bijoux. En s’appuyant sur des standards anciens, elle parvient à créer des bijoux nouveaux : une boucle d’oreille en forme de perle dorée ou un pendentif en forme de coeur sont par exemple laissés dans leurs écrins ouverts pour les transformer en broches.
Anya Kivarkis, « DOUBLE CUP » brooch
Si les pièces de la suédoise Åsa Lockner ont l’apparence de bijoux classiques, elles n’en révèlent pas moins de menues imperfections, des parties inachevées, des traitements d’oxydations particuliers … Ces “défauts” délibérés traduisent la volonté de rendre perceptible le « process » de fabrication et de révéler les subtilités de la métamorphose progressive du métal selon son degré d’échauffement. Ses bijoux semblent en évolution permanente. Récemment diplômée des Arts Décoratifs de Strasbourg, la française Carole Deltenre part, elle, de formes traditionnelles comme le camée ou la chevalière. Mais c’est pour écrire une histoire du bijou passée par le prisme des combats féministes et la réappropriation de leur corps par les femmes.
Carole Deltenre, ‘Nymph’ Brooch
La néerlandaise Gesine Hackenberg prélève dans des pièces de céramiques usuelles des détails qui constituent les éléments de ses bijoux. Ses créations sont les éléments d’un puzzle dont les pièces sont indissociables de l’objet dans lequel ils ont été prélevés et forment un ensemble que la créatrice expose toujours de manière conjointe. Éloigné de l’esthétique dominante dans le bijou contemporain espagnol, Marc Monzó, pour sa part, préfère une réinterprétation d’une esthétique produite en Catalogne entre les années 30 et 70. Son travail associe souvent des matériaux précieux à des bouts de plastiques récupérés. Il s’agit de faire entrer le bijou dans la vie quotidienne !
Gesine HACKENBERG – collier céramique
Les pièces sélectionnées à Cagnes-sur-Mer portent toutes un regard ironique sur la bijouterie précieuse et sa valeur symbolique.
Travaillant à partir d’images photographiques anciennes, l’allemande Bettina Speckner suscite la libre interprétation de chacun car elle ne donne aucune indication sur les lieux, l’époque, l’identité des personnages. Associées à des perles, des pierres précieuses ou des objets du quotidien, ces images/bijoux ouvrent les portes d’une mémoire collective où chacun peut projeter son propre parcours.
(merci pour l’information -et l’article- au blog « Notes Précieuse« - parce que sinon, AUCUNE information nulle part ailleurs ! comme si tout ce qui concernait le bijou contemporain en France devait rester secret ….. rien sur culture.fr, le « portail » de la culture … , rien sur le/les sites de Cagnes-sur Mer …. si ! après moult recherches, enfin une information sur http://www.cagnes-sur-mer.fr/ (dossier de presse disponible) aaah ! quel soulagement !)
présentation par Christian Alandete :
L’éducation sentimentale – Répertoire de formes pour une histoire du bijou contemporain
- repertory of forms for an History of contemporary jewellery – L’Education Sentimentaleis is an exhibition initiated by Christian Alandete.
« Le bijou contemporain a fait l’objet de nombreuses spéculations esthétiques depuis sa sécession du champ de la bijouterie traditionnelle. Si la grande Histoire du bijou contemporain reste encore à écrire, celle de la bijouterie traditionnelle a, d’un point de vue, tant esthétique, technique, qu’historique, fait l’objet de multiples publications et offre des points de référence qui servent aujourd’hui d’appuis au travail de nombreux bijoutiers contemporains, privilégiant la réinterprétation de formes anciennes ou puisant dans des oeuvres du passé une manière de repenser le présent.Dans le champ élargi des arts visuels, la question théorique de la fin de la modernité et sa quête de formes toujours nouvelles a laissé la place à une relecture contemporaine de formes historiques aujourd’hui communes, qui, à l’instar de la littérature cherche moins à inventer qu’à se réinventer à partir d’une langue partagée. Ainsi des artistes originaires de régions culturelles très différentes puisent dans un même répertoire formel les bases d’une pratique artistique, devenue en quelque sorte générique, dont les sources relèvent plus de l’expérimentation des différentes avant-gardes historiques que des contextes géographiques particuliers.
Dans le champ du bijou contemporain, de plus en plus d’artistes puisent à leur tour dans un répertoire de formes que la bijouterie a constitué depuis ses origines, pour en dégager la charge symbolique, rappelant combien le bijou est non seulement affaire de formes mais aussi et surtout de signes. Une alliance, une chevalière, une boucle d’oreille, un camée, une parure, chaque typologie de bijoux porte en elle des significations particulières que les bijoutiers contemporains s’attachent à détourner pour mieux en révéler les mécanismes à l’œuvre dans le jeu des relations sociales. Procédant par modifications d’échelles, collusion de périodes historiques contradictoires, additions de formes, recyclage ou réassignations sociales, les artistes de l’exposition nous invitent à repenser l’histoire, non plus selon un axe linéaire mais sur un mode cyclique, dans lequel les évènements se répètent toujours, sans toutefois jamais être tout à fait les mêmes. Ainsi, les formes du passé resurgissent dans le présent, nous évoquant des objets familiers sans qu’il soit pour autant possible d’en déterminer totalement l’origine.
À ce titre, les travaux de Gesine Hackenberg et Bettina Speckner ouvrent les portes d’une histoire à la fois collective et individuelle, faite de souvenirs incertains. La première propose un rapprochement entre le bijou et les objets du quotidien en prélevant dans des céramiques usuelles anciennes, les détails qui serviront à façonner le bijou. La seconde, en empruntant des images photographiques anonymes, construit une fiction dans laquelle chaque bijou est une pièce d’un vaste puzzle où personnages, lieux et paysages se rencontrent, laissant à la libre interprétation de chacun les possibles liens qui pourraient les réunir. Elles pointent ainsi le rapport singulier qu’entretient le bijou avec l’histoire familiale où traditionnellement, le trésor de guerre amassé par les mères était transmis, d’une génération à l’autre, à leurs filles. Dans le modèle de société patriarcal, qui a longtemps privilégié le masculin comme unique héritier (et du patronyme et du patrimoine), les femmes ont maintenu ainsi une forme de passation parallèle par le biais des bijoux.
Carole Deltenre explore à son tour cette histoire des femmes en se réappropriant la chevalière (un des rare bijoux exclusivement masculin). De cette bague, sur laquelle sont habituellement gravées les armoiries de la famille et qui servait à cacheter à la cire, courriers et contrats, elle en propose une version au féminin, remplaçant les emblèmes par un moulage de clitoris. Elle nous rappelle ainsi le long combat des femmes pour l’égalité devant la loi et le droit de disposer de leur propre corps.
Les pièces d’Anya Kivarkis, elles, trouvent leurs sources à la fois dans une histoire classique des formes (souvent empruntées à la période victorienne) et dans un réinvestissement de l’ornementation. L’éducation artistique a longtemps consisté à approcher les maîtres en les copiant au point de maîtriser leurs techniques. Chez Anya Kivarkis, il s’agit moins de reproduire les pièces elles-mêmes que de partir de reproductions qui seraient passées par le filtre appauvrissant de l’image documentaire. Elle imagine ainsi des combinaisons de formes dont on pourrait aisément retrouver les sources dans les ouvrages historiques bien qu’elle prenne soin d’en évacuer délibérément les caractéristiques physiques pour n’en conserver plus que la matrice. Aussi, ce qui devait être à l’origine une composition de pierres précieuses colorées disparaît, dissoute sous une couche homogène d’émail.
Ce rapport du bijou à sa surface est plus encore mis en jeu dans le travail d’Åsa Lockner avec une préférence pour l’époque baroque et ses débauches de courbes et d’entrelacements. Cette fois les formes semblent familières, mais n’ont aucun référent historique. Ici, il importe moins de réinvestir un répertoire de formes identifiables que d’en adopter le style au point de le transposer dans le processus même de fabrication. Ses pièces apparaissent alors dans un certain état d’inachèvement, comme si l’artiste avait souhaité rendre visibles tous ses tâtonnements. Ses pièces révèlent ainsi les multiples variations d’aspects, que le métal a imprimé, suite aux différents traitements d’échauffement et d’oxydation qu’elle lui a fait subir.
Marc Monzó et Lin Cheung proposent une approche qui peut sembler plus conceptuelle, chacun prenant, à sa manière, la mesure du bijou dans le champ social et en réinterroge le statut dans le jeu relationnel. L’utilisation de la bague solitaire chez Marc Monzó, pointe les contradictions d’une société faite de promesses illusoires et de faux-semblants. En augmentant, de manière outrancière, la taille d’un solitaire, qui peut alors être exhibé en broche, l’artiste souligne le caractère ostentatoire et le désir de reconnaissance (sociale) que le bijou peut combler. De même, en multipliant les occurrences d’un solitaire sur une même bague, il souligne l’évolution du couple moderne et son incapacité à pouvoir tenir ses voeux d’union éternelle.
Lin Cheung privilégie une approche périphérique en interrogeant le système des bijoux. Dans la série des Wear Again, elle conserve des bijoux anciens dans leurs écrins ouverts, pour les transformer alors en broches, renvoyant le porteur à un rôle de vitrine. En l’absence d’une littérature conséquente sur le bijou, qui puisse être en mesure d’ouvrir un véritable débat critique et théorique sur son histoire, ses fonctions et ses usages, elle propose une bibliothèque idéale dans laquelle toutes les disciplines de la philosophie à la sémiologie en passant par l’histoire prendraient le bijou pour objet d’étude. Elle remplace ainsi les couvertures de livres référents par des jaquettes blanches qui conservent l’esthétique d’origine mais dont le titre a été adapté au sujet, ouvrant le champ des possibles d’une vaste littérature de la bijouterie qui reste à écrire.
Dans le roman de Flaubert, L’éducation sentimentale, auquel l’exposition emprunte le titre, le narrateur doit trouver son propre chemin dans l’histoire en tentant de faire tomber les idées préconçues que chaque milieu tente de lui imposer. De la même manière, les artistes rassemblés dans l’exposition naviguent entre des temps contradictoires, puisant dans un passé indéterminé, les bases d’un renouvellement de formes à minima et faisant par la même occasion voler en éclats les frontières entre les différents segments de la bijouterie » Christian Alandete
Espace Solidor
Place du château – Haut-de-Cagnes
06800 CAGNES SUR MER
FRANCE
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courriel / email : m.lopez@cagnes.fr
chaque exposition qui a lieu à l’Espace Solidor est mise en ligne sur le site de la ville :
www.cagnes-sur-mer.fr, onglet “culture”. (MERCI de cette précision donnée par le Centre Solidor ! )